Né au cœur du siècle quatorzième au sein d'une pauvre famille de paysans, Crébain voit sa vie changer à l'âge de seulement quatre ans.
Alors que le pays est ravagé par tous les maux, la fatalité s'abat sur son village.
Les siens sont terrassés par l'épidémie de malemort et l'enfant sera l'un des seuls à y survivre.
Au milieu des cadavres pestiférés,
le garçon désespéré prend peur et s'enfuit dans la forêt proche.
Laissé à lui-même, il survit en se nourrissant de racines et de fruits.
Après quelques jours passés dans cette extrême misère,
il se pense mort lorsque son chemin croise celui d'une meute de chiens errants. Pourtant, les bêtes sauvages l'épargnent et, par quelque miracle,
le prennent d'affection. Le petit est adopté et nourri par ces animaux à l'instinct guidé par la providence.
Les années passent.
Crébain mène une vie semblable à celle des hommes des bois dont parlent les légendes.
Un soir d'été, la meute poursuit une proie.
C'est un homme sur une charrette, encapuchonné dans une robe de bure.
Les molosses s'attaquent à sa mule, mais le moine les repousse à coups de bâton. Puis il découvre, caché dans les fourrés, le jeune enfant.
Le petit est maigre comme un squelette et couvert de saletés.
Le clerc lui donne du pain et de l'eau claire, et décide de le recueillir.
Son nom est Jehan.
Çà et là, les gens le disent être un goliard, un hérétique ou un plaisantin ; lui se décrit comme un humble chrétien.
À ses côtés, le garçon apprendra à savourer les plaisirs simples de la vie.
Il lui apprend l'art et lui parle avec philosophie.
Ensemble, ils iront par monts et par vaux, voyageant longuement et se contentant de brèves haltes pour se reposer.
Leur vie est faite de rencontres et de joies.
Crébain, que le voyageur surnomme affectueusement Creb,
se montre curieux et attentif.
Il aime observer le monde et profiter de l'existence que Dieu lui a accordée.
Sa principale passion est de dessiner ce qu'il voit ou ce qui lui traverse l'esprit. Grâce à son précepteur, il développe ce talent,
d'abord en traçant sur la terre sèche à l'aide d'une branche,
puis en illustrant sur du parchemin avec une mine de plomb.
Le temps passe, et Creb est devenu un adolescent plein de vie.
Avec son maître, il a vu les paysages de toutes les contrées,
de Bretagne en Saxe, de Normandie en Castille.
Alors qu'ils sont en Espagne,
les deux itinérants font la rencontre d'artistes musulmans au sud
de la fameuse Al-Andalus, où il se procure, pour la première fois, du papier.
Au gré des vents,
ils quittent l'Occident pour longer les côtes du nord de l'Afrique,
et le destin les mène jusqu'en Orient, là où, jadis, les croisés affrontèrent les infidèles.
Au cœur de la magnifique culture arabe,
Crébain trouve à s'épanouir dans son art.
Il côtoie une multitude de personnes et se fascine pour la richesse de l'âme humaine.
Ces voyages feront de lui un infaillible philanthrope et un dessinateur habile.
Auprès des illustrateurs mahométans,
il acquiert la maîtrise quasi parfaite du crayon.
Par la même, il apprend à utiliser les pigments et on lui enseigne la fabrication des craies de couleur, qu'il emploiera aussitôt pour ses œuvres.
Lorsqu'il revient en Europe de nombreuses années plus tard,
Crébain est un adulte bienheureux.
Il continue de mener une vie de voyageur,
allant de village en village pour y découvrir les gens,
vivant de ses talents en réalisant les portraits des personnes qu'il rencontre.
Tout au long de sa vie, il effectuera de nombreux allers et retours entre ses terres natales et celles qui l'ont par la suite adopté.
Ainsi vécut Creb le voyageur.